De l’état des médias en 2022

Le traditionnel baromètre La Croix-Kantar sur la confiance des Français dans les médias a été publié le 20 janvier dernier. A cette occasion, j’ai été interrogée par France Info sur mon analyse des résultats : il m’a été demandé, entre autres, d’expliquer pourquoi radio et presse écrite sont les médias les plus « crédibles » pour les français, et de revenir en détail sur la crédibilité que l’on peut avoir dans l’information qui nous est fournie.

La crédibilité des médias en question

A mon sens, la crédibilité est liée à la sensation d’avoir des éléments factuels et des gens qui font de la pédagogie en confrontant également différents points de vue, pour se forger une opinion. C’est aussi lié à la sensation d’avoir des journalistes qui respectent les fondamentaux du métier, mais qui peuvent aussi assumer parfois d’avoir un engagement. Il faut être le plus neutre possible, et transparent sur la position depuis laquelle on parle. Par exemple, si ce que je dis viens renforcer vos croyances, vous allez dire que je suis sans doute une bonne journaliste, alors que ça ne sera pas forcément le cas dans le cas inverse. Mais notre métier n’est pas d’être complaisant, il est d’expliquer les faits, dans leur complexité, et de ne pas rester ou laisser intranquille.

Dans les chiffres du baromètre, le plus inquiétant est en réalité lié à une attente : on veut que « les médias fournissent des informations fiables et vérifiées » mais pour moins de la moitié des répondants, les médias ne fournissent pas cette qualité. Qui plus est, l’intérêt des Français pour l’information a reculé de 5 points en un an. Il me semble donc que nous sommes passés d’une fatigue informationnelle à une déprime informationnelle dans laquelle l’actualité, plus que jamais, est tenue à distance.

Je garde espoir tout de même, car la révélation des scandales politiques et financiers est perçue comme importante ou essentielle en démocratie pour 88 % des Français, et 59 % reconnaissent que les médias remplissent leur mission sur ce sujet.

La qualité du débat public avant les élections

Je retiens surtout de ce baromètre la nécessité pour les Français, à l’occasion des élections présidentielles et législatives, d’entendre parler des programmes : « les français veulent que les médias interrogent les candidats sur leurs programmes (à 87 %), pointent leurs mensonges (83 %), aident les Français à faire leur choix avec de « bonnes informations » (79 %). Ils attendent aussi à 78 % que les médias favorisent les « débats apaisés » et poussent les candidats dans leurs retranchements ».

Il est donc sans doute nécessaire de sortir des petites phrases et du commentaire centré sur les stratégies électorales pour se baser sur le fond – sans doute les rédactions peuvent elles fonctionner autrement qu’avec les seuls journalistes politiques sur ce point, de manière transversale ?

Il pourrait être utile de faire preuve de pédagogie, de rappeler pourquoi l’information et le vote sont nécessaires… et aussi, ainsi, de rallier les jeunes, via les réseaux sociaux, car l’intérêt des jeunes s’effondre pour arriver à seulement 38%.

L’épineuse question de l’indépendance des médias

Enfin, il serait temps que les candidats se penchent sérieusement sur l’indépendance de la presse. Neuf personnes interrogées sur dix considèrent en effet qu’il est « important » ou « essentiel » pour « le bon fonctionnement d’une démocratie » d’avoir des médias et des journalistes indépendants du pouvoir politique et économique . Mais ils ne sont qu’un petit tiers (respectivement 32 et 33 %) à estimer que c’est le cas aujourd’hui.

Alors que la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias auditionne depuis mercredi 19 janvier les principaux milliardaires magnats de la presse (Vincent Bolloré, Bernard Arnault, Xavier Niel…), on ne peut qu’être heurté par la paresse intellectuelle avec laquelle les responsables politiques s’emparent de la question.

Avec Informer n’est pas un délit par exemple, nous avons formulé des propositions simples et concrètes qui nous semblent aujourd’hui prioritaires :

1. La réforme en profondeur de la loi de 1986, relative à la liberté de communication.
Cette loi est obsolète, illisible et les critères retenus pour éviter la concentration des médias sont totalement inefficaces.

2. La création d’un statut juridique pour les rédactions.
Ce statut permettrait de graver dans le marbre l’indépendance des rédactions, de limiter tout interventionnisme des actionnaires et/ou de leurs représentants et de garantir la participation active des rédactions à la gouvernance de leurs médias. Au sein du quotidien Le Monde par exemple, des mécanismes existent pour se prémunir de toute ingérence.

3. La création d’un délit de trafic d’influence en matière de presse pour limitertoute pression sur les rédactions.
La loi devrait sanctionner pénalement tout interventionnisme abusif des propriétaires et dirigeants de médias qui ont souvent pour objectif de favoriser leurs intérêts ou ceux d’un tiers.

4. La protection de l’honnêteté, de l’indépendance et du pluralisme de l’information doit être mieux garantie.
Aujourd’hui, de nombreuses structures sont vouées à la protection du pluralisme de l’information : l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) qui va bientôt remplacer le CSA, les comités d’éthique, ou encore le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM). Il nous apparaît nécessaire de clarifier le rôle respectif de ces instances au sein d’un cadre législatif adapté à l’environnement médiatique actuel.

Comment reprendre le contrôle ?

En attendant, je vous invite, en marge de la publication du baromètre média La Croix Kantar, à lire l’excellente enquête effectuée par la journaliste Aude Carasco sur celles et ceux qui décrochent de l’info. Elle en profite pour donner sept conseils idées pour reprendre  le contrôle sur sa façon de s’informer… dont la méthode suggérée dans Les médias, le monde et nous !

Une affaire à suivre donc…!

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